Équation de Orr-Sommerfeld

L'équation de Orr–Sommerfeld en mécanique des fluides est une équation aux valeurs propres décrivant l'évolution de perturbations infinitésimales dans un écoulement parallèle visqueux. Elle permet donc de vérifier la stabilité linéaire de l'écoulement et sont donc un élément pour la prédiction de la transition laminaire-turbulent.

Cette équation est ainsi dénommée[1] d'après les travaux de William McFadden Orr[2],[3] et Arnold Sommerfeld[4].

Formulation

Variables réduites

On s'intéresse à un écoulement incompressible parallèle décrit par les équations de Navier-Stokes écrites en variables réduites faisant intervenir le nombre de Reynolds basé sur une longueur caractéristique L0 et une vitesse caractéristique U0 de l'écoulement

V ~ t ~ + ( V ~ x ~ ) V ~ = x ~ p ~ + 1 R e x ~ 2 V ~ x ~ V ~ = 0 V ~ ( x , 0 ) = V ~ 0 ( x ) {\displaystyle {\begin{array}{rcl}{\frac {\partial {\tilde {\mathbf {V} }}}{\partial {\tilde {t}}}}+({\tilde {\mathbf {V} }}\cdot \nabla _{\tilde {x}}){\tilde {\mathbf {V} }}&=&-\nabla _{\tilde {x}}\,{\tilde {p}}+{\frac {1}{Re}}\nabla _{\tilde {x}}^{2}{\tilde {\mathbf {V} }}\\[0.6em]\nabla _{\tilde {x}}\cdot {\tilde {\mathbf {V} }}&=&0\\[0.6em]{\tilde {\mathbf {V} }}(\mathbf {x} ,0)&=&{\tilde {\mathbf {V} }}_{0}(\mathbf {x} )\end{array}}}
Démonstration

Partant du système de Navier-Stokes incompressible

V t + ( V x ) V = 1 ρ x p + ν x 2 V x V = 0 {\displaystyle {\begin{array}{rcl}{\frac {\partial \mathbf {V} }{\partial t}}+(\mathbf {V} \cdot \nabla _{x})\mathbf {V} &=&-{\frac {1}{\rho }}\nabla _{x}\,p+\nu \,\nabla _{x}^{2}\mathbf {V} \\[0.6em]\nabla _{x}\cdot \mathbf {V} &=&0\end{array}}}

ν est la viscosité cinématique, on définit pour ce problème les quantités de référence suivantes : longueur L0 et vitesse U0 avec lesquelles on forme un nombre de Reynolds caractéristique du problème traité

R e = U 0 L 0 ν {\displaystyle Re={\frac {U_{0}L_{0}}{\nu }}}

Les variables sans dimension sont donc

x ~ = x L 0 , V ~ = V U 0 , t ~ = U 0 t L 0 , p ~ = p ρ U 0 2 {\displaystyle {\tilde {x}}={\frac {x}{L_{0}}}\,,\;\;\;{\tilde {\mathbf {V} }}={\frac {\mathbf {V} }{U_{0}}}\,,\;\;\;{\tilde {t}}={\frac {U_{0}t}{L_{0}}}\,,\;\;\;{\tilde {p}}={\frac {p}{\rho U_{0}^{2}}}}

Dans ce nouveau système l'opérateur gradient s'écrit

x ~ = L 0 x {\displaystyle \nabla _{\tilde {x}}=L_{0}\nabla _{x}}

Il ne reste plus qu'à introduire ces quantités dans le système ci-dessus et multiplier par L0U0-2.

La suite ne concernant que les variables adimensionnées on ignorera les tildes sur les variables et le gradient sera noté sans indice.

Stabilité

On superpose à la condition initiale une perturbation d'amplitude faible

V ( x , 0 ) = V 0 ( x ) + V ( x ) {\displaystyle \mathbf {V} (\mathbf {x} ,0)=\mathbf {V} _{0}(\mathbf {x} )+\mathbf {V} '(\mathbf {x} )}

La nouvelle solution du système est (U, q) tel que

U = V + V , q = p + p {\displaystyle \mathbf {U} =\mathbf {V} +\mathbf {V} '\,,\;\;\;q=p+p'}

En tenant compte de |V'| << |V| et donc négligeant ( V ) V {\displaystyle (\mathbf {V} '\cdot \nabla )\mathbf {V} '} le système portant sur les perturbations s'écrit

V t + ( V ) V + ( V ) V p + 1 R e 2 V V = 0 {\displaystyle {\begin{array}{rcl}{\frac {\partial \mathbf {V} '}{\partial t}}+(\mathbf {V} '\cdot \nabla )\mathbf {V} +(\mathbf {V} \cdot \nabla )\mathbf {V} '&\simeq &-\nabla \,p'+{\frac {1}{Re}}\,\nabla ^{2}\mathbf {V} '\\[0.6em]\nabla \cdot \mathbf {V} '&=&0\end{array}}}

Le système est

  • stable si |V'| est borné
sup x , t | V | < ϵ {\displaystyle \sup _{\mathbf {x} ,t}|\mathbf {V} '|<\epsilon }   pour tout   f ( ϵ ) {\displaystyle f(\epsilon )}   tel que   sup x | V 0 | < f {\displaystyle \sup _{\mathbf {x} }|\mathbf {V} _{0}'|<f}
  • asymptotiquement stable s'il est stable et que de plus
lim t | V | = 0 {\displaystyle \lim \limits _{t\rightarrow \infty }|\mathbf {V} '|=0}

Équations de Rayleigh et de Orr-Sommerfeld

Pour ce qui suit on réduit l'étude de stabilité à un milieu plan parallèle tel que   V = ( u , 0 , 0 ) , V = ( v 1 , v 2 , 0 ) {\displaystyle \mathbf {V} =(u,0,0)\,,\;\;\;\mathbf {V} '=(v_{1},v_{2},0)}

Ainsi que le montre le théorème de Squire[5],[6], il n'est pas utile de prendre en compte la composante transverse.

L'équation sur les perturbations devient

V t + u V = p + 1 R e 2 V {\displaystyle {\frac {\partial \mathbf {V} '}{\partial t}}+u\nabla \mathbf {V} '=-\nabla \,p'+{\frac {1}{Re}}\,\nabla ^{2}\mathbf {V} '}

Équation de Rayleigh

On se place d'abord dans le cas non visqueux et on introduit la fonction de courant ψ tel que

v 1 = Ψ y , v 2 = Ψ x {\displaystyle v_{1}={\frac {\partial \Psi }{\partial y}}\,,\;\;\;v_{2}=-{\frac {\partial \Psi }{\partial x}}}

On recherche les solutions sous forme d'ondes de pulsation ω et de vecteur d'onde k

Ψ = Φ ( k , y , ω ) e i ( k x ω t ) , p = g ( k , y , ω ) e i ( k x ω t ) {\displaystyle \Psi =\Phi (k,y,\omega )\mathrm {e} ^{\mathrm {i} (kx-\omega t)}\,,\;\;\;p'=g(k,y,\omega )\mathrm {e} ^{\mathrm {i} (kx-\omega t)}}

Une double transformation de Fourier en x et t permet d'écrire

( ω u k ) d Φ d y + k Φ d u d y = k g ( ω u k ) Φ = d g d y {\displaystyle {\begin{array}{rcl}(\omega -uk){\frac {\mathrm {d} \Phi }{\mathrm {d} y}}+k\Phi {\frac {\mathrm {d} u}{\mathrm {d} y}}&=&kg\\[0.6em](\omega -uk)\Phi &=&{\frac {\mathrm {d} g}{\mathrm {d} y}}\end{array}}}

Ce système se simplifie pour donner l'équation de Rayleigh (on suppose Ψ et u deux fois différentiables au moins)

( u ω k ) ( d 2 Φ d y 2 k 2 Φ ) Φ d 2 u d y 2 = 0 {\displaystyle \left(u-{\frac {\omega }{k}}\right)\left({\frac {\mathrm {d} ^{2}\Phi }{\mathrm {d} y^{2}}}-k^{2}\Phi \right)-\Phi {\frac {\mathrm {d} ^{2}u}{\mathrm {d} y^{2}}}=0}

L'instabilité impose que l'onde ne soit pas amortie et donc que la partie imaginaire de la vitesse de phase c = ω / k soit positive.

Cette équation doit être résolue avec les conditions aux limites représentatives du problème. Par exemple avec des parois en y1 et y2, on a

Φ ( y 1 ) = Φ ( y 2 ) = 0 {\displaystyle \Phi (y_{1})=\Phi (y_{2})=0}

Le problème est un problème aux valeurs propres admettant des solutions pour des couples (k , ω), solutions de la relation de dispersion f (k , ω) = 0.

Équation de Orr-Sommerfeld

La même analyse que ci-dessus avec le terme visqueux pour un problème de Couette ou de Poiseuille conduit à l'équation

( u c ) ( d 2 Φ d y 2 k 2 Φ ) Φ d 2 u d y 2 = 1 i k R e ( d 4 Φ d y 4 2 k 2 d 2 Φ d y 2 + k 4 Φ ) {\displaystyle (u-c)\left({\frac {\mathrm {d} ^{2}\Phi }{\mathrm {d} y^{2}}}-k^{2}\Phi \right)-\Phi {\frac {\mathrm {d} ^{2}u}{\mathrm {d} y^{2}}}={\frac {1}{\mathrm {i} k\,Re}}\left({\frac {\mathrm {d} ^{4}\Phi }{\mathrm {d} y^{4}}}-2k^{2}{\frac {\mathrm {d} ^{2}\Phi }{\mathrm {d} y^{2}}}+k^{4}\Phi \right)}

La relation de dispersion est ici f (k , ω , Re) = 0.

Par résolution numérique, on montre[7] qu'un écoulement de Poiseuille est instable pour Re > 5772.22. Au-delà de cette valeur et pour de très faibles perturbations des ondes de Tollmien-Schlichting apparaissent.

Pour un écoulement de Couette, aucune valeur de Re ne satisfait au critère d'instabilité linéaire.

Instabilité non linéaire

Diagramme d'instabilité (Poiseuille)

Toutefois l'absence d'instabilité linéaire ne garantit pas la stabilité pour une perturbation d'amplitude finie[8],[9]. Par exemple un écoulement de Poiseuille est instable à partir de Re = 2900 pour une amplitude donnée (voir courbe).

Références

  1. (en) M. Eckert, « The troublesome birth of hydrodynamic stability theory: Sommerfeld and the turbulence problem », The European Physical Journal H, vol. 35,‎ , p. 29-51 (lire en ligne)
  2. (en) W. Mc F. Orr, « The Stability or Instability of the Steady Motions of a Perfect Liquid and of a Viscous Liquid. Part I: A Perfect Liquid », Proceedings of the Royal Irish Academy. Section A: Mathematical and Physical Sciences, vol. 27,‎ , p. 9-68 (lire en ligne)
  3. (en) W. Mc F. Orr, « The Stability or Instability of the Steady Motions of a Perfect Liquid and of a Viscous Liquid. Part II: A Viscous Liquid », Proceedings of the Royal Irish Academy. Section A: Mathematical and Physical Sciences, vol. 27,‎ , p. 69-138 (lire en ligne)
  4. (de) A. Sommerfeld, « Ein Beitrag zur hydrodynamische Erklärung der turbulenten Flüssigkeitsbewegungen », Proceedings of the 4th International Congress of Mathematicians, Rome, vol. III,‎ , p. 116-124
  5. (en) H. B. Squire, « On the stability for Three-dimensional disturbances of viscous fluid flow between parallel walls », Proceedings of the Royal Society Série A, vol. 142, no 847,‎ , p. 621-628 (lire en ligne)
  6. (en) P. J. Schmid et D. S. Henningson, Stability and Transition in Shear Flows, Springer, , 558 p. (ISBN 978-1-4612-6564-1, lire en ligne)
  7. S. A. Orszag, « Accurate solution of the Orr–Sommerfeld stability equation », Journal of Fluid Mechanics, vol. 50, no 4,‎ , p. 689-703 (DOI 10.1063/1.868919, Bibcode 1996PhFl....8.1424H)
  8. (en) A. Georgescu, Hydrodynamic Stability Theory, Dordrecht/Boston/Lancaster, Martinus Nijhoff Publishers, , 306 p. (ISBN 90-247-3120-8, lire en ligne)
  9. (en) Paul Manneville, Instabilité, Chaos and Turbulence. An Introduction to Nonlinear Dynamics and Complex Systems, Imperial College Press, , 391 p. (ISBN 1-86094-483-3, lire en ligne)

Articles connexes

Liens externes

  • Paul Manneville et Yves Pomeau, « Transition to turbulence », sur Scholarpedia
  • icône décorative Portail de la physique