Groupe simple d'ordre 168

En mathématiques, et plus précisément en théorie des groupes, un groupe simple est un groupe qui n'admet aucun sous-groupe distingué propre. La classification des groupes simples finis montre qu'il est possible de les ranger en quatre catégories : les groupes cycliques d'ordre un nombre premier, les groupes alternés, les groupes de type Lie et les groupes sporadiques.

Le plus petit groupe simple de type Lie est d'ordre 168 ; il est le premier élément de sa catégorie. C'est, à isomorphisme près, le seul groupe simple d'ordre 168[1]. Il peut être vu comme le groupe linéaire d'un espace vectoriel de dimension 3 sur le corps F2, et on en déduit que c'est également le groupe des symétries du plan de Fano. C'est encore le groupe projectif spécial linéaire d'un espace de dimension 2 sur le corps F7. Il peut aussi être vu comme le groupe de Galois[2] sur ℚ du polynôme X7 – 7X + 3, ou le groupe des automorphismes de la quartique de Klein, qui est la courbe du plan projectif complexe définie par le polynôme P suivant :

P ( X , Y , Z ) = X 3 Y + Y 3 Z + Z 3 X . {\displaystyle P(X,Y,Z)=X^{3}Y+Y^{3}Z+Z^{3}X.}

Ce groupe intervient par exemple dans des démonstrations[3],[4] du dernier théorème de Fermat pour l'exposant n égal à 7.

Groupe linéaire GL3(F2)

Classes de conjugaison

Le groupe GL3(F2), groupe linéaire d'un espace vectoriel E de dimension 3 sur le corps fini F2 à deux éléments, est noté G dans la suite.

Si φ est un élément de G et (e1, e2, e3) une base de E, φ(e1) peut prendre 7 valeurs distinctes, toutes celles différentes du vecteur nul. Le vecteur φ(e2) peut être choisi dans un ensemble de 6 valeurs, à savoir tous les vecteurs non colinéaires à φ(e1). Enfin, φ(e3) est un vecteur quelconque hors du plan engendré par φ(e1) et φ(e2), soit 4 valeurs possibles, ce qui établit la proposition suivante :

  • Le groupe GL3(F2) est d'ordre 168 (= 7×6×4).

Le tableau des classes de conjugaison du groupe est le suivant :

Ordre multiplicatif Polynôme minimal Cardinal
1 X + 1 1
2 X2 + 1 21
3 X3 +1 56
4 X3 + X2 + X + 1 42
7 X3 + X + 1 24
7 X3 + X2 + 1 24

Deux automorphismes conjugués d'un espace vectoriel de dimension finie ont même polynôme minimal (et donc même ordre). La première colonne du tableau indique l'ordre commun aux éléments de la classe, la deuxième colonne leur polynôme minimal commun, et la troisième leur nombre.

Démonstration

Pour chaque polynôme envisagé, la description géométrique des automorphismes dont il est le polynôme minimal mettra en évidence leur existence et le fait qu'ils sont conjugués, et permettra de les compter. En décrivant et dénombrant ainsi diverses classes, nous épuiserons les 168 éléments du groupe.

  • L'automorphisme identité est seul dans sa classe.
  • Un automorphisme φ de polynôme minimal X2 + 1 = (X + 1)2 est déterminé par la droite im(φ + 1) et le plan ker(φ + 1) qui la contient. Le cardinal de la classe est le nombre de choix possibles de l'une des 7 droites de l'espace et de l'un des 3 plans qui la contiennent, soit 7×3=21. Ses éléments sont d'ordre 2.
  • Un automorphisme φ de polynôme minimal X3 +1 = (X + 1)(X2 + X + 1) est déterminé par la droite ker(φ + 1), le plan supplémentaire ker(φ2 + φ + 1) et le choix, pour un vecteur non nul arbitraire de ce plan, de son image par φ, non colinéaire et dans ce plan. Le cardinal de la classe est donc 7×4×2 = 56. Ses éléments sont d'ordre 3.
  • Un automorphisme φ de polynôme minimal X3 + X2 + X + 1 = (X + 1)3 est déterminé par la droite ker(φ + 1), le plan ker((φ + 1)2) qui la contient et le choix, pour un vecteur arbitraire n'appartenant pas à ce plan, de son image par φ + 1, qui doit appartenir au plan mais pas à la droite. Le cardinal de la classe est donc 7×3×2 = 42. Ses éléments sont d'ordre 4, car X4 + 1 = (X + 1)4.
  • Pour tout automorphisme φ dont le polynôme minimal est l'un des deux polynômes irréductibles P = X3 + X + 1 ou Q = X3 + X2 + 1 et pour tout vecteur non nul e, φ est déterminé par son polynôme minimal et par les deux vecteurs φ(e) et φ2(e), qui doivent compléter e en une base. Le cardinal de chacune des deux classes est donc (8–2)×(8–4)=24. Les éléments sont d'ordre 7 car X7 + 1 = (X + 1)PQ.

Caractère

La détermination des classes de conjugaison permet d'établir la table des caractères du groupe. Comme il existe 6 classes de conjugaison, il existe exactement 6 représentations irréductibles complexes à équivalence près. Les classes sont nommées en fonction de l'ordre de leurs éléments et les représentations en fonction de leur degré. Comme il existe deux représentations de degré 3 et deux classes composées d'éléments d'ordre 7, ces classes et ces représentations sont indexées par une lettre. On obtient la table suivante[5]  :

Car. irr. C1 C2 C3 C4 C7a C7b
χ1 1 1 1 1 1 1
χ3a 3 –1 0 1 (–1+i7)/2 (–1–i7)/2
χ3b 3 –1 0 1 (–1–i7)/2 (–1+i7)/2
χ6 6 2 0 0 –1 –1
χ7 7 –1 1 –1 0 0
χ8 8 0 –1 0 1 1
Détermination de la table
  • Représentation de degré 1 :
    Remarquons, dans un premier temps qu'il n'existe pas de morphisme surjectif du groupe dans un groupe cyclique de plus d'un élément. En effet, pour que le morphisme soit surjectif, le groupe d'arrivée possède nécessairement un ordre qui divise 168. Si un tel morphisme existait, il existerait nécessairement un morphisme surjectif dans un groupe cyclique d'ordre 2, 3 ou 7. Un morphisme à valeur dans un groupe cyclique d'ordre 2 est nul sur les classes C3, C7a et C7b, c'est-à-dire sur plus de la moitié des éléments du groupe G, un tel morphisme a nécessairement pour image l'élément neutre. Un morphisme dans un groupe cyclique d'ordre 3 est nécessairement nul sur les classes C4, C7a et C7b, il est donc nul. Le même raisonnement montre qu'il est aussi nul s'il est à valeur dans un groupe d'ordre 7. Comme tout caractère de degré 1 est aussi un morphisme d'image un groupe cyclique, le seul caractère de degré 1 est le caractère trivial.
  • Représentation de degré 2 :
    Il n'existe pas de représentation irréductible de degré 2. Pour cela, il suffit de considérer la trace de l'image φ d'un élément de C7a. L'automorphisme φ est diagonalisable car son polynôme minimal est un diviseur de X7 – 1 donc ne possède pas de racine multiple. On en déduit que φ admet deux valeurs propres λ=ζa et μ=ζb, où ζ est une racine primitive 7e de l'unité et a, b sont deux entiers compris entre 0 et 6. On remarque que φ2 est aussi dans C7a, ce qui montre que λ + μ est égal à λ2 + μ2. En notant r et s les restes de la division euclidienne de 2a et 2b par 7, on en déduit que le polynôme Xr + XsXa – Xb est divisible par le polynôme cyclotomique d'indice 7, ce qui n'est possible que s'il est nul, c'est-à-dire r = a et s = b ou r = b et s = a. Dans les deux cas, on en déduit que a et b sont nuls modulo 7, i.e. λ et μ sont tous les deux égaux à 1. La trace de l'image d'un élément C7a ou de C7b est nécessairement égale à 2. Le calcul de la norme du caractère associé à cette représentation donne un résultat strictement supérieur à 1, ce qui montre que la représentation n'est pas irréductible.
  • Degrés des six représentations irréductibles :
    Il existe une unique représentation de degré 1 et aucune de dimension 2. De plus, les six degrés sont des diviseurs de 168 et la somme de leurs carrés vaut 168. Or l'unique décomposition de 168 en somme de 6 carrés dont le premier est 1 et les suivants sont des carrés d'entiers appartenant à {3,4,6,7,8,12} est :
    168 = 1 2 + 3 2 + 3 2 + 6 2 + 7 2 + 8 2 . {\displaystyle 168=1^{2}+3^{2}+3^{2}+6^{2}+7^{2}+8^{2}.}
    Les degrés des représentations irréductibles sont donc 1, 3, 3, 6, 7 et 8. Ceci permet de remplir la première ligne et la première colonne du tableau.
  • Représentations de degré 3 :
    Déterminons les caractères des représentations irréductibles de degré 3. Le même raisonnement que précédemment montre que si φ est un automorphisme image d'un élément de C7a, il possède comme valeurs propres trois racines primitives septième de l'unité λ, λa et λb, où a et b sont deux entiers compris entre 1 et 6 tel que a est plus petit que b. Comme la trace de φ est égale à celle de φ2 la valeur λ + λa + λb est égale à la valeur λ2 + λ2a + λ2b, donc a est égal à 2 et b à 4. On remarque que la somme de λ + λ2 + λ4 et de λ3 + λ5 + λ6 est égale à -1 et le produit à 2. On en déduit que le caractère sur la classe C7a est égal à 1/2.(-1 ± i7). Le produit scalaire de χ1 et de χ3a est égal à 0. De plus, l'expression i7 ne se retrouve dans le caractère d'aucune classe autre que C7a et C7b, et on en déduit que si le caractère est égal à 1/2.(-1 + i7) sur C7a, il vaut nécessairement 1/2.(-1 - i7)C7b et vice-versa.
    Un raisonnement analogue montre que les valeurs propres d'un automorphisme image d'un élément de C3 possède trois valeurs propres distinctes et toutes trois racines troisièmes de l'unité, ce qui montre que le caractère est nul sur cette classe, car la somme des trois racines est nulle.
    Pour les automorphismes image d'un élément de C2, les valeurs propres sont, soit 1 soit -1 et la trace est égale à 1 ou 3 en valeur absolue. Comme la norme du caractère est égale à 1, 3 en valeur absolue n'est pas une valeur possible. Pour C4, un raisonnement analogue montre que la trace est égale à 1 en valeur absolue. L'orthogonalité de χ3a avec χ1 permet de déterminer les signes manquants. Le raisonnement s'applique de la même manière à χ3b.
  • Autres représentations :
    Le raisonnement précédent montre que la trace d'un automorphisme image d'un élément de C7a est l'une des trois valeurs : -1, -1 + i7 ou -1 - i7, si le degré de la représentation irréductible est égale à 6. Les deux dernières valeurs sont impossibles car la norme du caractère serait strictement supérieure à 1. Le calcul des produits scalaires de χ6 avec χ1, χ3a et χ6 permet de conclure.
    Pour la représentation de degré 7, les six coefficients restant à déterminer se calculent avec les produits scalaires entre le caractère à déterminer et les précédents. Il n'existe qu'une seule solution de norme 1. Enfin, la connaissance du caractère de la représentation régulière et des 5 premiers caractères permet le calcul de χ8.

Simplicité

Article détaillé : groupe simple.
  • Le groupe GL3(F2) est simple.

Une manière simple de s'en rendre compte est d'étudier la table des caractères. À l'exception du caractère trivial, ils sont tous associés à des représentations fidèles, c'est-à-dire injectives. Pour le vérifier il suffit de remarquer que la trace de l'identité n'est obtenue que pour l'image de l'élément neutre. Si le groupe possédait un sous-groupe distingué non trivial, il existerait un morphisme de G non injectif et non trivial. Le morphisme et une représentation du groupe d'arrivée fournirait une représentation non injective et non triviale.

Il existe aussi une démonstration plus directe[6].

Démonstration directe

Soit H un sous-groupe distingué non trivial de G. Si H ne contient ni élément d'ordre 7, ni élément d'ordre 3, son ordre est un diviseur de 168 qui n'est multiple ni de 3 ni de 7, c'est-à-dire un diviseur de 8. Alors H contient un élément d'ordre 2, donc les 21 éléments conjugués d'ordre 2, ce qui est impossible.

Si H contient un élément d'ordre 3, il les contient alors tous car ils sont dans la même classe de conjugaison. En ajoutant l'élément neutre, on trouve au moins 57 éléments dans le groupe. Le seul diviseur strict de 168 plus grand que 57 est 84, ce qui montre que H contient un élément d'ordre 2 et un élément d'ordre 7, donc la classe des éléments d'ordre 2 et une classe d'éléments d'ordre 7 sont dans le groupe H. L'ordre de H est strictement supérieur à 84, H est donc le groupe G.

Si H contient un élément d'ordre 7, H les contient tous : soient ceux-ci lui sont conjugués, soit ils sont les conjugués de son inverse, qui a pour polynôme minimal le polynôme réciproque. Donc H contient au moins 49 éléments. Les entiers supérieurs à 49 divisant 168 sont 168, 84 et 56. Tous ces diviseurs sont des multiples de 2, ce qui montre que H contient la classe des éléments d'ordre 2, donc possède au moins 49+21 = 70 éléments. Il ne reste plus que les cardinaux 168 et 84, H contient nécessairement un élément d'ordre 3, donc les 56 éléments de la classe de conjugaison, c'est le groupe entier.

Remarque : en admettant que ce groupe est isomorphe à PSL2(F7)[7], sa simplicité n'est qu'un cas particulier de celle[8] de tous les PSLn(K) sauf PSL2(F2)≃S3 et PSL2(F3)≃A4.

Présentation par générateurs et relations

Une présentation du groupe utilise deux générateurs s et t et les relations[9] :

s7 = t2 = (ts)3 = (ts4)4 = 1.

Le groupe peut être vu comme PSL(2,F7), soient les transformations homographiques de déterminant 1 prises modulo ±id de la droite projective PG(2,F7) (8 points). Celle-ci peut être vue comme F7 complété par un point à l'infini avec les conventions usuelles pour le calcul. Le produit étant la composition notée dans l'ordre usuel, on peut choisir pour générateurs s : zz + 1 et t : z ↦ −1/z. Un calcul simple permet de vérifier les 4 relations.

Notes et références

  1. Pour une démonstration, voir par exemple :
    • Jean-Pierre Serre, Groupes finis, Cours à l'École Normale Supérieure de Jeunes Filles, 1978/1979, révision 2004, p. 58-59, en ligne
    • (en) D.S. Dummit et R.M. Foote, Abstract Algebra, 3e éd., Wiley, 2004, p. 207-212
    • Démonstration sous forme d'exercice détaillé dans Daniel Perrin, Cours d'algèbre [détail des éditions], Ellipses, 2004, p. 115.
  2. Alain Kraus, « Introduction au problème de la théorie de Galois inverse », dans Théorie de Galois – Cours accéléré de DEA, université Paris 6, 1998, p. 39
  3. D. Perrin, La quartique de Klein et le groupe simple d’ordre 168, version courte ou version longue, Université Paris-Sud (conférences de l'auteur à Versailles en 2005 et Besançon en 2008), p. 11
  4. (en) Noam D. Elkies, « The Klein Quartic in Number Theory », dans S. Levy (éd.), The Eightfold Way: The Beauty of Klein's Quartic Curve, Cambridge, MSRI Publications, vol. 35, 1998, rééd. 2001 (ISBN 978-0-521-00419-0), p. 51-101
  5. Les résultats de cette section et de la précédente sont conformes aux premiers calculs des caractères irréductibles de GLn(Fq) pour n ≤ 4 et pour tout corps fini Fq par Robert Steinberg en 1948 dans sa thèse, dirigée par Richard Brauer : cf (en) Robert Steinberg, « The representations of GL(3,q), GL(4,q), PGL(3,q), and PGL(4,q) », Can. J. Math., vol. 3,‎ , p. 225-235 (lire en ligne). La méthode de Steinberg, élémentaire mais moins laborieuse et plus systématique, explicite en outre des représentations dont proviennent ces caractères.
  6. D. Perrin, La quartique de Klein […], op. cit., version courte p. 13 ou version longue p. 14
  7. Ce qui peut se démontrer sans utiliser la simplicité de PGL(3,F2), voir par exemple Ezra Brown and Nicholas Loehr, American mathematical Monthly 2009 Why is PSL(2,7) ≅ GL(3,2)?
  8. Pour une démonstration détaillée, voir Marc Hindry, Université Paris 7, Cours d’algèbre au magistère de Cachan, en ligne, p. 66, ou encore « Simplicité des groupes linéaires spéciaux projectifs » sur Wikiversité.
  9. voir (en) Harold Scott MacDonald Coxeter et W. O. J. Moser, Generators and Relations for Discrete Groups, Berlin, New York, Springer-Verlag, (ISBN 0-387-05837-0), p. 94 ; Coxeter et Moser citent (de) Walther Dyck, « Gruppentheoretische Studien », Mathematische Annalen, vol. 20, no 1,‎ , p. 41 (lire en ligne).

Bibliographie

  • (en) William R. Scott, Group theory, New York, Dover, (ISBN 0-486-65377-3), p. 299
  • Jean-Pierre Serre, Cours d'arithmétique, [détail des éditions]
  • (en) Roger Carter, Simple groups of lie type, London New York, John Wiley & Sons, (ISBN 0-471-50683-4)

Articles connexes

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